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Michèle Alliot-MarieDe Philippe Bilger, Marianne, Mardi 18 Janvier 2011
http://www.marianne2.fr

La complaisance du gouvernement français envers le régime de Ben Ali jusqu’aux derniers jours de son règne est choquante, estime Philippe Bilger. Mais il est tout aussi choquant de voir que mis devant le fait accompli de la fuite de l’ancien président, la France a fait volte-face, non pas par éthique mais par nécessité.

Pourquoi la joie n’est-elle jamais sans mélange ?

La révolte populaire en Tunisie, en moins d’un mois, a fait « tomber » le président Ben Ali qui s’est réfugié, après avoir pris la fuite avec son épouse, en Arabie Saoudite. Les victimes ont été nombreuses, plus d’une centaine de morts tués par le tir de balles réelles. Le dictateur qui a dominé sans partage ce pays durant plus de 20 ans a été renversé par une fronde devenue révolution dont il n’a pas su prendre la mesure, tant il est vrai que le pouvoir absolu aveugle ceux qu’il veut perdre. Il n’est plus rien sauf pour Kadhafi (Le Post). La Tunisie, mise en coupe réglée tant sur le plan politique qu’économique et financier par le président, son épouse et la famille de celle-ci, connaît actuellement des désordres, des pillages, des violences, des exactions, une atmosphère incertaine et insaisissable quoique rassurante constitutionnellement. On ne sait de quoi l’avenir sera fait mais pourquoi faut-il que derrière les liesses démocratiques, se profile presque inévitablement la menace, la crainte d’un futur qui ne ressemblerait certes plus au passé mais serait tout de même, à sa manière, un brise-espérances, une formidable déception collective ? Une main de fer remplacée par un ordre islamique renaissant après avoir été étouffé durement par le président Ben Ali (Jdd.fr, nouvelobs.com, Marianne2, le Monde, le Parisien, le Figaro) ?

Surtout, quelle formidable comédie humaine et politique ! Pour l’observateur, ces journées permettent une plongée dans le réalisme des États comme dans la psychologie des personnes. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la vie internationale représente le contraire de la reconnaissance, de la cohérence et de la constance. Il n’y a d’ailleurs, en principe, rien de honteux pour un pays à s’adapter à une conjoncture qui change et en un trait de temps fait passer l’ami de la France qu’était le président Ben Ali en une sorte de pestiféré d’autant plus à rejeter qu’on n’a pas cessé avant de faire preuve à son égard d’une indulgence gravement coupable. Car enfin tout ce qu’on découvre et qui se dit dans l’effervescence de la chute du dictateur (pour les forces d’opposition et, semble-t-il, l’immense majorité des Tunisiens) était connu hier. Pour les États, pour la France dont les liens avec ce beau pays ont toujours été privilégiés, nulle surprise, rien qui vienne soudain éclairer une diplomatie qui aurait été mal informée. On savait tout et aujourd’hui on fait les dégoûtés ! C’est sans doute de bonne guerre mais ce qui me choque et montre avec beaucoup de cruauté les limites de la « Realpolitik », ce n’est pas le comportement de la France maintenant – nécessité fait loi et elle n’a plus vraiment le choix, le président Obama ayant donné le « la » pour le parler vrai – mais sa complaisance d’avant. De sorte que la volte-face opérée reflète moins la prise en considération d’une éthique internationale que l’expression d’une urgence, contrainte d’oublier sans fard ni excuse les accommodements passés pour ne pas sacrifier les éventuels gains futurs.

Il suffit de se rappeler notre histoire récente. Combien avons-nous entendu de gens se rendant en Tunisie que la présence du président Ben Ali à la tête du pays n’a jamais gênés ! Apparemment ce n’était même pas un calvaire démocratique même si évidemment, depuis que Ben Ali est déchu, les langues se délient, les indignations se manifestent et qu’on a l’impression qu’une multitude de touristes « de l’ombre » attendaient patiemment cette issue politique pour nous faire part de leur souffrance et malaise cachés ! Tout cela n’est que trop ordinaire.

Le président de la République, lors de son voyage d’État en Tunisie, s’était félicité des progrès accomplis sur le plan des libertés publiques. Frédéric Mitterrand, sur Canal Plus – riant « très jaune » en niant avoir été « pistonné » comme ministre par Carla Bruni-Sarkozy -, était gêné comme il n’est pas permis en souhaitant qu’on ne porte pas sur la Tunisie « un regard univoque », alors qu’on était déjà en pleine contestation violente avec une répression brutale. Michèle Alliot-Marie, qui a démontré rapidement qu’elle n’était pas plus faite pour les Affaires étrangères que pour les judiciaires, a proposé au Pouvoir tunisien une aide « sécuritaire » dont la finalité ne pouvait être que de faciliter une reprise en main par celui-ci d’une situation qui lui échappait. François Baroin, que le président Ben Ali ait souhaité ou non être accueilli en France, déclare que ses proches « n’ont pas vocation » à demeurer dans notre pays. Des élections libres sont réclamées par les mêmes qui ne songeaient même pas à les invoquer du bout des lèvres, pas davantage que la liberté de l’information, il y a encore quelques jours quand le président Ben Ali était perçu comme un rempart contre l’islamisme et un despote utile.

Je ne peux pas m’empêcher d’éprouver comme une sorte de vertige devant des soutiens aussi choquants et des reculades aussi ostensibles. Le bonheur mêlé d’angoisse du peuple tunisien – on en a eu une parfaite illustration sur France 2 avec une intervention d’un responsable communiste parlant du président Ben Ali et du caractère explosif de la situation actuelle – ne peut qu’être partagé par tous ceux qui ont le droit de se réjouir dans l’instant d’une liberté conquise sans méconnaître les difficultés de sa sauvegarde demain.

Si trois conclusions, sans doute provisoires, étaient à tirer de ces journées historiques pour nos amis tunisiens, ce seraient à mon sens les suivantes.

On a toujours tort de soutenir une dictature, quel que soit le poids des intérêts. Elle finira toujours par «tomber» un jour et les nouveaux maîtres oublieront difficilement qu’on a favorisé les anciens.

La morale internationale ne devrait pas être un vœu pieux. On gagne plus grâce une constance fondée sur des valeurs et pas naïve pour autant que sur un ajustement cynique et précipité sur les « donnes » que finissent par créer les peuples dans leur lutte victorieuse contre des Pouvoirs profondément illégitimes.

Dans les manifestations et les combats qui ont abouti à la fuite sans grandeur du président Ben Ali, on a vu beaucoup de jeunes femmes, de femmes déterminées et à égalité avec les hommes. J’espère qu’elles ne se laisseront priver de rien et qu’elles sauront peser sur l’avenir.

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